Table des matières Python

Interférométrie stellaire

1. Introduction

Ce document est une introduction à la technique d'interférométrie stellaire, qui consiste à faire des interférences de type franges d'Young avec la lumière provenant d'objets très petits. En étudiant la variation du contraste des franges avec la ligne de base, on peut obtenir des détails de l'objet inférieurs au dixième de seconde d'arc, en dessous du pouvoir de résolution des téléscopes en imagerie classique.

Cette technique a d'abord été utilisée avec des radio-télescopes. Depuis les années 1990, elle est développée dans les grands observatoires optiques.

2. Principe de la méthode

2.a. Expérience des trous d'Young avec une source ponctuelle

L'expérience des trous de Young permet de comprendre le principe de la méthode interférométrique. On considère un télescope, qu'on représentera par une lentille mince convergente, qui fait l'image d'un objet ponctuel à l'infini dans son plan focal. L'objet est supposé monochromatique, de longueur d'onde λ. L'onde reçue par le télescope est une onde plane de vecteur d'onde

k'=2πλu'(1)

où l'on a introduit un vecteur unitaire donnant la direction et le sens de cette onde.

young.svgFigure pleine page

L'entrée du télescope est obstruée par un écran percé de deux trous très petits T1 et T2. On note a le vecteur reliant ces deux trous :

a=T1T2(2)

Dans tout ce qui suit, on néglige le diamètre de ces trous, c'est-à-dire qu'on ne prend pas en compte la figure de diffraction de chaque trou. Comme les deux trous sont éclairés par une onde plane, ils se comportent comme deux sources ponctuelles cohérentes déphasées de :

φ'=k'a(3)

En un point P du plan focal du télescope, les deux rayons se rencontrant sont parallèles avant de traverser la lentille. On note u le vecteur unitaire donnant leur direction. La différence de phase entre ces deux rayons au point P est :

Φ=2πλ(u-u')a(4)

Lorsque les deux vecteurs directeurs sont égaux, la différence de phase est nulle, ce qui correspond à la position de l'image au sens de l'optique géométrique.

L'intensité dans le plan focal est définie par la fonction d'interférence de deux ondes :

I(u)=I0(1+cos(2πλ(u-u')a))(5)

I0 est l'intensité de l'onde provenant le l'objet.

Pour exprimer le déphasage, on a besoin des composantes des vecteurs unitaires sur le plan XY (le vecteur a est dans ce plan). Ces composantes s'expriment avec deux angles par rapport à l'axe du télescope :

ux=sinα(6)uy=sinβ(7)ux'=sinα'(8)uy'=sinβ'(9)

On suppose que ces angles sont très petits, ce qui permet de développer les sinus à l'ordre 1. Par ailleurs, on pose :

a=aux+buy(10)

On obtient finalement :

I(α,β)=I0(1+cos(2πλ(a(α-α')+b(β-β'))))(11)

Par exemple, si les deux trous sont sur l'axe X, espacés de a, et si la source est sur l'axe OZ, on retrouve la formule classique des interférences de Young :

I(α)=I0(1+cos(2πλaα))(12)

La figure d'interférence comporte des franges rectilignes, dont l'interfrange est :

Δα=λa(13)

Il s'agit bien sûr d'un interfrange angulaire, qu'il faut multiplier par la distance focale du télescope. En pratique, le nombre de franges visibles est limité par la largeur des trous. Si d est leur diamètre, les franges ne sont visibles qu'à l'intérieur de la tache de diffraction, dont le diamètre angulaire est environ 2λ/d. La largeur spectrale de la source limite aussi le nombre de franges visibles, mais il est toujours possible de la réduire avec un filtre.

2.b. Objet étendu

On considère un objet étendu, par exemple une étoile, un couple d'étoiles, ou tout autre objet dont on souhaite obtenir des détails. Un tel objet est caractérisé par une fonction intensité :

I0(u')(14)

Par exemple pour une étoile, cette fonction prend une valeur non nulle à peu près uniforme sur un cône autour de la direction donnant le centre de l'étoile.

Les différents points de l'objet constituent des sources de lumière incohérentes. L'intensité obtenue dans le plan focal est donc la somme des intensités produites par chacun de ces points, qui s'exprime comme une intégrale double :

I(u)=I0(u')(1+cos(2πλ(u-u')a))dα'dβ'(15)

Les angles α' et β' définissent la direction du vecteur u' par rapport à l'axe du télescope. L'intégrale s'étend sur toutes les directions incidentes possibles, en tout cas sur les directions où l'objet présente une intensité non négligeable.

On pose tout d'abord :

I1=I0(u')dα'dβ'(16)

Le second terme de (15) est la partie réelle de l'intégrale complexe suivante :

J̲=I0(u')ei2πλ(u-u')adα'dβ'=ei2πλuaI0(u')e-i2πλu'adα'dβ'(17)

On définit alors la fonction de visibilité :

μ̲(a)=1I1I0(u')e-i2πλu'adα'dβ'(18)

que l'on écrit explicitement en fonction des angles :

μ̲(a,b)=1I1I0(α',β')e-i2πλ(aα'+bβ')dα'dβ'(19)

Il s'agit d'une fonction à valeur complexe des variables (a,b). On reconnaît la transformée de Fourier de la fonction intensité de l'objet. Les variables conjugées sont :

α'aλ(20)β'bλ(21)

Introduisons le module et l'argument :

μ̲(a,b)=V(a,b)eiψ(a,b)(22)

Finalement, l'intensité dans le plan focal s'écrit :

I(α,β)=I1(1+V(a,b)cos(ψ(a,b)+2πλ(aα+bβ)))(23)

On obtient ainsi des franges rectilignes de Young dont la visibilité (le contraste) est donnée par la fonction V(a,b), c'est-à-dire le module de la transformée de Fourier de la fonction d'intensité de l'objet.

2.c. Exemple à une dimension

Voyons tout d'abord un exemple unidimensionnel. L'objet est dans le plan OXZ. On a alors des fonctions d'une variable :

μ̲(a)=1I1I0(α')e-i2πλaα'dα'(24)

Comme objet étendu, considérons une étoile. Le diamètre apparent d'une étoile est trop petit pour être discerné sur l'image formée dans le plan focal, car la tache de diffraction due à l'ouverture limitée du télescope masque complètement ce diamètre. Supposons que l'étoile soit dans l'axe du télescope. En première approximation, la fonction d'intensité peut être définie par :

I0(α')=I0si|α'|<ε2(25)I0(α')=0si|α'|>ε2(26)

ε est le diamètre apparent de l'étoile, qui est inférieur au dixième de seconde d'arc. On a :

I1=I0ε(27)

La fonction de visibilité est :

μ̲(a)=1εε/2ε/2e-i2πλaα'dα'(28)

Le calcul conduit à :

μ̲(a)=sinuu(29)u=πaελ(30)

Voyons le tracé de la visibilité (le contraste des franges) pour une étoile de diamètre 0,05 secondes d'arc.

import numpy
from matplotlib.pyplot import *

Lambda = 500e-9
epsilon = 0.05/3600*numpy.pi/180.0

def V(a):
    u = numpy.pi*a*epsilon/Lambda
    return numpy.abs(numpy.sin(u)/u)

figure()
a = numpy.linspace(0,10,500)
v = V(a)
plot(a,v)
xlabel('a (m)')
ylabel('V')
grid()
                        
figA.svgFigure pleine page

L'expérience consiste à varier la distance a entre les trous jusqu'à obtenir la première annulation du contraste des franges. On peut ainsi remonter au diamètre apparent. Pour cette étoile, il faut un espacement de 2 m.

On voit sur cet exemple qu'un espacement a entre les trous permet d'accéder à des détails de l'ordre de λ/a.

La première expérience d'interférométrie stellaire a été réalisée en 1920 par Michelson et Pease, avec une étoile de ce diamètre angulaire. L'accès à des détails encore plus petits nécessite un très grand télescope. On verra plus loin que l'interférométrie moderne utilise plusieurs télescopes distants de plusieurs dizaines de mètres.

2.d. Exemple à deux dimensions

Comme exemple bidimensionnel simple, considérons trois étoiles non alignées, qui ne sont pas séparables par une observation directe. Le but est d'obtenir une information sur la distance angulaire entre ces étoiles et sur leurs positions relatives. Si on les considère comme ponctuelles, la fonction d'intensité est une somme de trois distributions de Dirac. La fonction de visibilité s'écrit :

μ̲(a,b)=j=13e-i2πλ(aα'j+bβ'j)(31)

où l'on a introduit les positions angulaires (α'j,β'j) des trois étoiles par rapport à l'axe du télescope. La relation s'applique d'ailleurs à un nombre quelconque d'étoiles ponctuelles. Voyons un exemple. Les angles sont en secondes d'arc.

alpha1 = 0.0
beta1 = 0.0
alpha2 = 0.01
beta2 = 0.003
alpha3 = -0.008
beta3 = 0.005
                       
sec2rad = 1.0/3600*numpy.pi/180.0
f = 2*numpy.pi/Lambda*sec2rad

def V(a,b):
    mu = numpy.exp(-1j*f*(a*alpha1+b*beta1))+\
         numpy.exp(-1j*f*(a*alpha2+b*beta2))+\
         numpy.exp(-1j*f*(a*alpha3+b*beta3))
    return numpy.absolute(mu)
    
A = 20.0
da = A/100
a,b = numpy.mgrid[-A:A:da,-A:A:da]
v = V(a,b)
figure(figsize=(7,7))
imshow(v,cmap=cm.gray,extent=[-A,A,-A,A])
xlabel('a (m)')
ylabel('b (m)')
                       
figBfigB.pdf

La visibilité est représentée sous forme d'une image. Les zones noires correspondent à une visibilité nulle.

Sur ce type d'objet, la méthode interférométrique consiste à faire varier a et b pour échantillonner cette visibilité le plus finement possible. La transformée de Fourier inverse permet en principe de remonter à la fonction intensité et donc à la position des trois étoiles. Dans le cas présent, il faut pouvoir faire varier a et b sur plusieurs mètres.

3. Télescopes et lignes à retard

Pour faire varier a et b sur des distances aussi grandes, il faut utiliser plusieurs télescopes mobiles. Ce principe est mis en œuvre dans les observatoires modernes, par exemple dans le système VLTI (Very Large Telescope Interferometer) de l'ESO (European Southern Observatory).

La figure suivante montre le principe avec deux télescopes (le VLTI en comporte 8) :

telescopes.svgFigure pleine page

La lumière est collectée au foyer de chaque télescope puis acheminée par un système de miroirs jusqu'au laboratoire central où les faisceaux sont combinés pour former les interférences. La ligne de base est le vecteur a reliant les deux foyers des télescopes. Ce vecteur est variable car un des deux télescopes est mobile.

L'objet visé fait un angle θ avec l'horizon, qui varie au cours du temps à cause de la rotation terrestre. En raison de cet angle, il y a une différence de chemin optique

δ=acosθ(32)

Cette différence de marche est très grande, largement plus grande que la longueur de cohérence de la lumière. Il faut donc la compenser pour former des interférences. C'est le rôle de la ligne à retard, qui fonctionne avec des miroirs mobiles qui allongent le chemin de la lumière (à la manière de l'interféromètre de Michelson). Il s'agit d'un dispositif de très haute précision, puisque la différence de marche doit être ajustée avec une précision inférieure à la longueur d'onde. Les rails sur lesquels les miroirs coulissent ont une longueur de 65 m et sont rectilignes à mieux que 25μm. De plus, la compensation doit s'ajuster au cours du temps pour tenir compte de la variation de l'angle θ.

Avec quatre gros télescopes fixes (diamètre 8,20 m), et quatre plus petits mobiles (diamètre 1,80 m), le VLTI est capable de mesurer le contraste des franges d'Young pour une série de valeurs de a et b. Il y a trente positions possibles pour les petits télescopes. La ligne de base maximale est de 200 mètres, ce qui permet en principe d'accéder à des détails de l'ordre λ/a=0,001 secondes d'arc (dans l'infrarouge proche). Un traitement du signal par transformée de Fourier permet ensuite de restituer la fonction d'intensité de l'objet.

Pour revenir à l'expérience des trous de Young, la ligne de base est l'analogue du vecteur reliant les deux trous, et le diamètre des télescopes est l'analogue du diamètre des trous. En conséquence, les franges d'Young ne sont visibles qu'à l'intérieur des taches de diffraction dues à l'ouverture finie des télescopes. Pour un télescope de D=2 m de diamètre, cette tache a un diamètre de 2λ/D=0,1  secondes d'arc. Lorsque la distance entre les deux télescopes est 5 fois leur diamètre, il y a environ 10 franges visibles dans cette tache de diffraction. Il s'agit d'observer ces franges dans des conditions qui permettent d'évaluer précisément leur contraste. Or les observations à cette échelle (de l'ordre du dixième de seconde d'arc) sont très fortement altérées par la turbulence atmosphérique, c'est pourquoi le système interférométrique est couplé à une optique adaptative qui permet de corriger en temps réel les effets de la turbulence atmosphérique.

Pour plus de détails sur le VLTI voir www.eso.org. Voir aussi www.chara.gsu.edu pour le système interférométrique de l'observatoire du mont Wilson.

Creative Commons LicenseTextes et figures sont mis à disposition sous contrat Creative Commons.